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Résumés"L’apport constructif des limites en science" Giuseppe Longo
Il existe une différence significative entre la science et la technoscience : la première s’est construite, dans l’histoire, aussi — voire surtout — grâce à des tournants conceptuels dus à des « résultats négatifs », qui ont mis en évidence les limites de grands projets de connaissance. La seconde prétend « ne pas avoir de limites » : des lauréats du prix Turing et de prix Nobel, aux très grands mérites techniques, nous assurent qu’il sera bientôt possible de « simuler entièrement un cerveau humain », de « contrôler l’évolution »… L’IA et la biologie génocentrique, parallèlement, se fondent sur des paradigmes de recherche identiques : des séquences finies de signes (0/1 ou quatre lettres de l’alphabet, ce qui revient au même) permettent, de manière impérative — c’est-à-dire en codant des ordres —, de piloter le monde. G. Longo, Le cauchemar de Prométhée. Les sciences et leurs limites. Préface de Jean Lassègue, postface d’Alain Supiot. PUF, Paris, 2023. Couverture-Table-introLeCauchemarPromethee.pdf - E. Klein : Présentation sur France Culture - 4 minutes
"La transformation écologique de la recherche aura-t-elle lieu ?" Tamara Ben Ari
"En finir avec la recherche ou la rediriger ?" Alexandre Monnin Face aux limites planétaires, la recherche ne peut plus se réduire à un moteur neutre de croissance ou d’innovation. Elle est prise dans des régimes cosmotechniques (Yuk Hui) divergents – des manières situées d’articuler technique, cosmos et société – et dans une géopolitique de plus en plus conflictuelle. Continuer comme si ses productions étaient universellement désirables revient à ignorer les communs négatifs que ses résultats nourrissent : infrastructures, savoirs et filières qui compromettent l’habitabilité. La question n’est pourtant pas d’« en finir avec la recherche » car le régime de la Technosphère ne le permet plus, mais bien de la rediriger : vers le soin des mondes dont elle dépend, vers des trajectoires compatibles avec les conditions de vie, et vers une prise en compte des interdépendances globales. Cela suppose de reconnaître la dimension (géo)politique de toute orientation scientifique, d’assumer les choix de renoncement, et d’ouvrir un espace d’enquête collective sur ce qu’il faut abandonner, transformer ou préserver. Rediriger la recherche, c’est rompre avec l’illusion d’une science désincarnée et l’inscrire dans une géopolitique du soutenable.
"L'imaginaire chimique des maladies mentales entre 1950 et 1980 : les fondements épistémologiques des neurosciences psychiatriques? " Céline Cherici
En raison des variétés des approches neurophysiologiques et cliniques mais également des obstacles techniques et de l’évolution des moyens d’exploration du cerveau humain et animal, les liens entre physiologie mentale et psychiatrie biologique sont complexes. Ainsi, des modèles électriques et chimiques, s’opposent ou se complètent pour modéliser les différents niveaux d’activités cérébrales entre la fin du XIXe et le milieu du XXe siècle. De la neurochimie au langage psychiatrique se déploient plusieurs échelles d’observations afin de répondre à la question : comment comprendre les termes hystérie, psychasthénie, obsessions, manie hébéphrénie, catatonie, démence précoce ou schizophrénie en liens avec des variations tissulaires, électriques ou chimiques du cerveau ? Les mots, les termes et concepts utilisés pour décrire le cerveau humain et ses fonctions rendent compte des approches religieuses médicales, scientifiques ou sociologiques qui en ont fait, tour à tour, une thématique centrale. Nous allons explorer la performativité de représentations du cerveau qui non seulement en modélisent la façon dont les fonctions sont appréhendées mais également l’ensemble des comportements humains et les images par lesquelles le sujet se représente à lui-même. Cela va bien au-delà de la vérité ou de la fausseté de ces images. Ces représentations, influencées par des conceptions coexistant, issues de la science, de la culture et de la société, influencent la manière dont est pensé le cerveau mais également dont il pense. Quand un imaginaire chimique de la maladie mentale se développe à partir du psychédélisme, notamment au cœur des recherches de Daniel Freedman qui va faire du LSD, le scalpel des mécanismes neurochimique. Cette modélisation fonde-t-elle l’avenir des neurosciences psychiatriques ? Ces recherches s’accompagnent de termes tels que préscience, puzzle clinique, ornements, pont ou show télévisé. Autant de termes qui renvoient à des métaphores constitutives de nouvelles approches du cerveau humain.
"La diffusion des savoirs neuroscientifiques, de la nécessité aux contraintes " Sebastien Lemerle
Depuis une quarantaine d’années, la nécessité de diffuser le plus largement possible les savoirs neuroscientifiques a été énoncée sur le mode de l’évidence dans l’espace public, le champ intellectuel, le champ du pouvoir, les champs de l’éducation et de la santé, ou encore les circuits de production culturelle (presse, édition, médias audiovisuels, etc.). Selon les périodes, il en a résulté une image de sciences affirmant pouvoir tout expliquer du fonctionnement cérébral et des comportements ou bien promettant des applications révolutionnaires dans les domaines les plus divers (santé, éducation, management, développement personnel, etc.) Cette situation, ambiguë pour nombre de chercheur.es qui ne se sont pas forcément reconnu.es dans ces visions données de leurs disciplines, est l’une des origines du lancement en France de la Semaine du cerveau, au début des années 2010. L’intervention reviendra d’abord sur les raisons de la nécessité, aux yeux des organisateurs et organisatrices de cet événement, d’un discours alternatif aux « neuromythes » et « neuropromesses » précédemment évoqués. Elle abordera ensuite les multiples contraintes pesant sur la diffusion neuroscientifique, qu’elles soient de nature externe (institutionnelle, économique, politique ou simplement matérielle) ou de nature interne au discours scientifique lui-même et à sa reformulation pour le plus grand nombre.
Bibliographie
Sébastien Lemerle, « Les neuromythes, cible ambiguë. Une étude sur la lutte contre la dévaluation des savoirs neuroscientifiques », in Antoine Aubert, Thibaud Boncourt, Arnaud Saint-Martin (dir.), Batailles pour la vérité́. Complotisme, effondrisme et autres discours alternatifs, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2025, p. 237-255
Sébastien Lemerle, « La Semaine du cerveau à Paris (2014-2017) : étude sur les contraintes de la vulgarisation des neurosciences », Sociologie, vol. 12, n°2, juin 2021, p. 129-147.
"Neurosciences, un discours néolibéral." François Gonon
L'engouement croissant pour la biologie du cerveau tient à la conviction qu'elle serait la mieux placée pour expliquer les troubles mentaux, les difficultés scolaires et les inégalités sociales. Pourtant, selon les scientifiques les plus reconnus, les neurosciences n'ont, jusqu'à présent, guère éclairé les pratiques en psychiatrie, en pédagogie ou pour lutter contre les inégalités. Il y a en effet un écart considérable entre le discours triomphant délivré au grand-public et la réalité des avancées scientifiques. Ce double discours favorise une conception neuro-essentialiste des comportements humains. En mettant l'accent sur le cerveau individuel, cette conception occulte les responsabilités collectives, notamment vis-à-vis des enfants et des familles défavorisées. En célébrant la plasticité cérébrale, le discours des neurosciences contribue aussi à renforcer l'idéal néolibéral d'autonomie et d'adaptabilité. Parmi tous les discours d'experts, celui des neurosciences est particulièrement difficile à critiquer sur le fond en raison de sa technicité. Mon intervention en proposera un examen critique.
"Les philosoph(i)es peuvent-ils apporter quelque chose aux (neuro)scientifiques de demain ?" Héloïse Athéa
La philosophie des sciences est souvent vue comme une activité réflexive assez éloignée du travail concret des scientifiques. Mais si elle pouvait aussi les aider à avancer ? A partir d’exemples concrets, cette intervention propose d’explorer ce que les philosophes, avec leurs outils conceptuels, peuvent apporter aux scientifiques.
"Les outils peuvent-ils devenir sujets ? Les Organoïdes cérébraux" Maxence Gaillard Les organoïdes cérébraux appartiennent à une famille de nouveaux modèles cellulaires que la bioingénierie élabore notamment pour l’étude du développement ou de ses pathologies. Plus performants, complexes et réalistes que les cultures cellulaires en deux dimensions, ces modèles sont aussi intéressants en ce qu’ils offrent parfois une alternative aux modèles animaux pour des sujets délicats tels que l’évaluation de la toxicité. Jusqu’à quel niveau de complexité et de potentialité peuvent aller ces modèles ? De quoi peut être signe l’activité électrique enregistrée in vitro ? Dans quelle mesure peut-on envisager qu’émerge une forme de sensibilité ou de conscience à partir d’une culture cellulaire ? Si une telle possibilité se faisait jour, des questions ne manqueraient pas d’apparaitre quant au statut moral de ces modèles : devrait-on les protéger ou adopter un cadre réglementaire spécifique pour limiter leurs usages ? Encore faudrait-il pouvoir définir ce qu’il se passe exactement dans ces modèles et le mesurer. Ce cas d’étude illustre la difficulté des neurosciences à aborder l’imbroglio entre les questions épistémologiques et éthiques propre aux débats autour de la notion de conscience.
" Cogiter l'environnement : La crise écologique comme défi concret et réflexif pour les sciences du cerveau" Karim N’Diaye La philosophie des sciences est souvent vue comme une activité réflexive assez éloignée du travail concret des scientifiques. Mais si elle pouvait aussi les aider à avancer ? A partir d’exemples concrets, cette intervention propose d’explorer ce que les philosophes, avec leurs outils conceptuels, peuvent apporter aux scientifiques.
Cette intervention vise aussi à ouvrir un espace de dialogue avec le public pour réfléchir à la question suivante : si les philosophes peuvent effectivement devenir des alliés des (neuro)scientifiques de demain, quelles formes prendront de telles collaborations ? |
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